vendredi 6 septembre 2013

Moravagine

Cher Blaise,

C'est incroyable comme on peut perdre un souvenir, oublier, faire une croix sans même y penser et puis paf ! un jour, ce souvenir revient à la surface, vivant, brûlant même et se rappelle à toi comme un vieil ami. Comme si tu te retrouvais avec un vieux pote au téléphone, que tu n'aurais plus vu depuis des années, et avec lequel tu terminerais la conversation entamée alors.

Ca m'arrive en ce moment, assez régulièrement, et ça m'est arrivé particulièrement avec l'une de tes œuvres, lue il y a une bonne dizaine d'année, à l'époque où ma seule consommation de livres et de BD faisait vivre grassement plusieurs familles de bucherons canadiens.

Je veux parler de Moravagine. Ce livre était complètent sorti de mon esprit et il m'a ressauté à la gueule il y a quelques jours, en lisant chez les inrocks un article sur les livres conseillés pour l'été par des écrivains, en l'occurrence Marie Darrieussecq. "Un roman que je ne comprends pas bien, alors je le relis souvent. Ce n’est pas mon roman préféré mais c’est celui auquel je reviens sans cesse, abasourdie". Abasourdi, c'est bien le mot.

Moravagine, allez, tu peux nous l'avouer, est une espèce d'autofiction où tu te mets en scène dans la peau d'un jeune médecin de tes amis, qui tombe sous le charme d'un descendant de la famille royale de Hongrie, aristocrate malade, dépravé et maniaque. On est mal à l'aise devant la bienveillance complice du narrateur alors que cet homme est un meurtrier récidiviste, exceptionnellement dangereux. L'intérêt clinique de départ se change en amitié puis en fascination, au point que Raymond la Science, le médecin, devient le complice de toutes les extravagances, happé dans une vie trépidante et aventureuse, mais aussi des folies, des exactions et des meurtres sauvages de Moravagine.

Voilà bien un roman qui te frappe au ventre. La tête te tourne, tes yeux se brouillent, ton esprit s'embrume. Tu ressors hébété de la lecture. D'Allemagne en Russie, jusqu'en Amérique les aventures se succèdent et se terminent presque à chaque fois en drames sanglants. Mais ce qui est certainement le plus dérangeant dans ce roman, outre encore une fois cette horrible rédaction à la première personne qui fait de nous tes complices, c'est le style.

Construit, carré, clinique, propre et sans accroc, académique, c'est une réelle façade que ton ami Raymond veut nous peindre. On se demande à chaque ligne où est la neutralité que tu sembles vouloir nous faire accroire. Ou plutôt : où s'arrête l'observation, où commence la complicité ? Bien avant de te lire, j'avais vu et vécu comme un autre coup à l'estomac l'ovni C'est arrivé près de chez vous, où la jeune équipe du cinéaste, Rémy, suit le tueur en série Benoît Poelvoorde pour se retrouver finalement embrigadée dans ses mésaventures...

Mais on n'arrive pas, dans C'est arrivé, à la connivence qui existe entre Moravagine et Raymond, qui fait naturellement penser au couple que forment Watson et Holmes. Et je me demande comment j'avais fait pour oublier cette histoire. Comment peut-on oublier cela ? Je me sens encore tout chose au simple fait d'y avoir repensé. En tout cas, voilà un sacré motif d'étonnement, et surtout un très, très grand moment.
Merci Blaise.

Amicalement,
Hrundy V.

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