mercredi 14 janvier 2015

Une manif prometteuse

Chère France,
Tu m'as manqué.
Je sais, je sais, je n'ai pas fait beaucoup d'efforts ces derniers temps moi non plus, mais franchement, avoue que tu n'étais plus très bandante. Entre tes affaires, tes coups de sang, tes règlements de comptes, tes enfants qui n'étaient plus dignes de confiance, ni de respect... On avait l'impression que chacun était replié sur soi-même, à faire son petit business, intéressé seulement par son portefeuille, ses petites magouilles et son nombril.

Et puis il y a eu la tuerie de Charlie et ces deux jours complètement dingues où la vie s'est arrêtée. Les pleurs, les moments d'hébétude, et ce sentiment d'urgence. L'urgence de la vie. De faire des choses, de partager, de vivre.

Il y a cette voix qui hurle en moi et qui me crie de lire, de rire, de profiter, d'écrire, et puis... voilà, du coup il fallait s'y remettre et je me suis remis. C'est tellement difficile de se remettre à écrire, à lire, à penser. Mais ce n'est pas parce qu'on a été bien éduqué qu'il faut s'arrêter d'apprendre. Tout au long de la vie le plaisir de s'enrichir est un plaisir qui s’entretient. Rien ne vient facilement, il faut remettre sans cesse sur l'ouvrage, découvrir, redécouvrir... Le talent, dit Jules Renard, est une question de quantité. Il ne s'agit pas d'écrire une page mais d'en écrire trois cents. L'intelligence, comme le vélo, ça ne s'oublie pas, mais comme la forme physique, la capacité de réaction et l'esprit critique, ça s'entretient.

Ici on ne cherche pas le talent mais juste le plaisir d'ouvrir son esprit, que les idées s'écoulent claires et vives comme un torrent de montagne. Mais je m'égare, et pas seulement de Montparnasse comme disait Pierre Desproges. Tiens, d'ailleurs, en parlant du bouseux limousin : j'entends sa voix, chuchotée, triste et apeurée, dans son extraordinaire sketch sur les rues de Paris qui ne sont plus sûres, quand son ami l'épicier arabe se fait agresser. J'ai toujours, toujours un sourire lorsqu'il raconte le moment où, attablé avec l'épicier et son frère, ils sirotent un petit blanc. Son ami lui dit qu'il en boit un tout petit peu parce qu'il est moitié musulman, moitié diabétique... Aujourd'hui je suis sûr que le grand Pierrot est en train de respirer un Figeac 75, à la table de Mahomet, posant un regard à la fois désolé et, forcément, amusé sur la situation parce que, si on ne rit pas du pire, de quoi pourrait-on rire à la fin ?

La tendance à soliloquer est grande chez les blogueurs, et plus encore quand la tristesse nous prend. De toute façon, quand on est interrompu par Desproges, on ferme sa gueule et on écoute. Alors fais donc pareil, chère France, parce que je ne peux m’empêcher de digresser. Enfin je reviens à Charlie. J'ai adoré comment, dimanche, tu es descendue dans la rue, pour dire que tu étais là. J'ai lu çà et là que certains n'étaient pas les bienvenus à la manif, que d'autres étaient ridicules, contempteurs de toujours du ton de Charlie puis ardents défenseurs du jour au lendemain... D'autres ont dit aussi que les Cabu, Wolinski et consorts se retournaient dans leur tombe d'entendre chanter la Marseillaise en leur honneur...

Quelle importance ? Tu es multiple, multiforme, multiculturelle, multiconfessionnelle. Certains sont descendus dans la rue pour défendre la liberté d'expression, d'autres pour rendre hommage aux auteurs de Charlie Hebdo, d’autres aux policiers, quelques-uns pour se montrer, beaucoup pour y être, pour se tenir chaud dans un moment de doute, de peur et de solitude. Pour ce besoin de se sentir partie d'un tout, pour se dire qu'on n'est pas seul face à la barbarie, la bêtise et l'aveuglement. Chacun avait sa raison, et toutes les raisons étaient bonnes, et toutes les raisons étaient nobles.

L'important, c'est que dimanche, tu as montré que tu étais en vie. Que tu existes encore, que tu respires, que tu penses, que tu marches. Et ça, ma chère France, ça, c'était l'important. Et c'était beau. Je me prends à rêver que ça continue. Que tout ça t'a fait sortir de ta léthargie, et que les années 60 vont revenir, et que tes enfants vont de nouveau vivre, penser, se questionner, refuser l'ordre établi. Moi en tout cas, je m'y remets.

Merci chère France,
Amicalement
Hrundy V.

mercredi 7 janvier 2015

What a wonderful World...

Chère maman,
J'ai une bonne nouvelle pour toi. Enfin, tu dois déjà être au courant, Cabu vient de te rejoindre. Je sais que tu l'aimais bien, avec ses petites lunettes rondes et sa coupe au bol à la du Guesclin. Surtout, il te faisait marrer et grincer et ça, ce n'est donné qu'à quelques-uns. Autre bonne nouvelle, il est bien accompagné, avec Wolinski, Charb, Tignous, Oncle Bernard et d'autres.

La mauvaise nouvelle c'est qu'ils doivent être dans un sale état, parce que les enfants du bon dieu qui leur ont permis le grand saut leur ont fait des trous partout au fusil d'assaut, en espérant venger je ne sais quel prophète. A mon avis, le prophète en question doit aujourd'hui se tâter entre la crise de rire ou la dépression grave. Cabu avait raison, c'est dur d'être aimé par des cons.

Ce qui est sûr, c'est que ton monde à toi, s'il existe, est certainement beaucoup plus drôle que le nôtre désormais. D'un autre côté, tu gagnes d'un seul coup d'un seul la moitié de la rédaction de Charlie Hebdo, alors que t'avais déjà Dac, Desproges, Coluche et tellement d'autres...

Nous ici, il ne nous reste plus grand chose pour rigoler. En une poignée de minutes, voilà que des malfaisants quelconques ont flingué une partie de mon adolescence et de ma vie d'adulte. Comme ça, juste parce qu'ils avaient décidé qu'on ne peut pas rire de tout. L'acte en lui-même est tragique, ridicule, terrible. Il y a plein de victimes, deux policiers notamment, d'autres journalistes de Charlie, mais je n'arrive pas à m'enlever cette pensée égoïste qu'on m'a pris quelque chose.

Charlie en général, et ses piliers en particulier, faisaient partie de ces vieux amis qu'on appelle de temps en temps, parce qu'ils nous font sourire à la vie, qui nous font penser (croire ?) que le monde est beau, et que la vie est une fête. Que toutes les bêtises et les horreurs sont des péripéties dont il faut se gausser. Le bonheur est simple, il tient à cela. A notre capacité à voir le monde beau et léger.
Ces cuistres avaient-ils la fatuité de croire qu'ils pouvaient nous enlever ça, comme des Goldfinger de supermarché, ou bien étaient-ils juste assez bas du plafond pour penser réellement venger le pauvre Mahomet ?

Et nous, comment doit-on réagir ? La haine qui nous tord les boyaux doit-elle sortir ? Depuis midi aujourd'hui, j'ai marché comme un boxeur sonné, groggy, les yeux dans le vague, les idées noires (tiens, dis bonjour à Franquin, il sera content de voir les petits). Mais doit-on accepter que des terroristes nous enlèvent notre joie de vivre ? J'en suis arrivé là. Moi qui désespérais un peu des hommes depuis quelques mois, j'ai probablement touché le fond de la foi en l'être humain aujourd'hui, mais ce soir je sais une chose. J'ai la rage. Une rage positive et constructive. Une rage de faire des choses, de réussir, d'aimer mieux, d'apprendre, de continuer à grandir et d'aider mes enfants, et tous ceux qui le veulent, à grandir et à voir le monde avec des yeux émerveillés, comme ton capitaine préféré Adrian Cronauer passant le What a wonderful world du grand Satchmo Louis Armstrong en pleine guerre du Vietnam, sur fond de bombardements...

Le grand Sachem et Robin des ondes Willliams

Chère maman, toi qui es là haut depuis trop longtemps et qui y est partie bien trop tôt, prends soin d'eux, prends-soin de toi, et marrez-vous bien pour nous, on en a besoin.

Merci maman,
Amicalement,
Hrundy V.