dimanche 17 avril 2016

L'immoraliste

Cher André,

J'ai récemment lu L'immoraliste. Une belle découverte. Autant j'ai beaucoup aimé La symphonie pastorale par sa justesse désenchantée et sans tabou sur la nature humaine, il y avait un style un peu guindé, suranné qui en faisait un livre de son époque, autant L'immoraliste est libre, coulant, moderne et ne date finalement que par la relation entre Michel et ses amis, ainsi que par la vie oisive du rentier.

Mais quelle suavité, quelle richesse fine et douce dans cette langue que tu utilises ! Tu m'en excuseras, je n'avais jamais pensé à te lire avant cette année. J'avais un a priori, j'imaginais les outrances d'un artiste homosexuel, une préciosité trop grande, je n'en sais même rien. Une odeur de souffre entoure ton nom qui ne m'attirait pas. Sans te juger, inconsciemment, il me semblait que tu ne pouvais pas me parler. Idioties que tout cela. Je me suis si longtemps privé du bonheur incroyable de ce livre, du vent de liberté qui y  souffle, majestueusement...

D'un autre côté, rien ne m'y avait appelé non plus. La simple curiosité de l'étudiant qui veut mettre des émotions sur des concepts évoqués... Je suis heureux d'avoir eu cette curiosité. La joie de vivre, qui devient une force, qui devient une drogue, qui départ le héros de sa sociabilité, qui en fait un individu coupé de l'intérêt dans la compagnie des hommes, c'est un sentiment incroyable que tu procures au lecteur. Celui d'aujourd'hui ne peut pas clairement pas s'identifier au narrateur, il est trop éloigné des conceptions de notre société, mais on peut vivre et ressentir avec lui :

" Avec quelles délices plus tard sentirai-je entrer vers moi le vent des nuits, le clair de Lune..."

Regardons devant, jamais derrière, ne regardons pas même autour. C'est une théorie grisante, mais qui ne présente guère d'intérêt si cela implique, in fine, d'être Robinson ou Jeremiah Johnson. L'intérêt d'avoir un cerveau réside aussi dans la capacité d'échanger avec ses semblables. Et si le pur cerveau autocentré qu'était Michel-le-chercheur a découvert, grâce à la maladie et à la proximité de la mort, qu'il avait aussi un corps qui pouvait ressentir, il n'est finalement devenu quasiment qu'un pur corps, écartant toute culture, et basculant d'une extrémité à l'autre. En deux ans. Une parenthèse matérialisée par son union avec Marceline, qu'elle accompagne malade, qu'il accompagne malade, jusqu'à ce qu'elle cède et qu'il se retrouve détaché de toute sociabilité. Comme un fantôme dans sa propre maison, alors qu'ils reçoivent à Paris, que Marceline est déjà bien malade et lui bien détaché de toute morale sociale, il se dit : "On ne peut être à la fois sincère et le paraître."

Deux ans seulement entre deux autismes, celui de la tête et celui du corps. Un gâchis ou une tranche de vie ? Une métamorphose en tout cas, que l'on imagine réversible à la fin du roman, puisque ses amis l'entourent et l'aident, donnant effectivement l'impression d'une parenthèse ouverte par la maladie et fermée par la mort. Une parenthèse où, malgré les hésitations du narrateur, qui se sent partir, le monde s'ouvre à lui dans toute sa splendeur, et l'âme humaine dans tous ses mystères...

Merci André,
Cordialement,
Hrundy V. Bakshi