lundi 16 septembre 2013

Meurtriers sans visage

Cher Henning,

Ce qu'il y a de bien avec les histoires d'amour littéraire, c'est que les entremetteurs sont nombreux sur le web. J'avoue que je ne te connaissais ni d'Eve ni d'Adam il y a quelques mois et puis, un jour, me demandant si j'étais bien sûr d'avoir bien lu tous les Fred Vargas, je suis tombé sur un forum où un lecteur vous comparait. En substance, c'était "si vous aimez Adamsberg, vous aimerez Wallander."

Erreur grave, comme disait l'autre.

Parce que oui c'est vrai, Wallander et Adamsberg ont effectivement des points communs. Plein en fait. Ils sont décalés, chacun à leur manière, à la fois à la limite de la misanthropie et pleins de compassion, pas très heureux en amour mais pas sans succès non plus, ils sont régulièrement en difficulté avec la hiérarchie sans pourtant être des va-t-en-guerre... Bref, ils sont humains, ils subissent aussi bien leur vie que toi ou moi. Enfin surtout toi parce que moi j'assure grave. Bref. Je reviens à mon erreur.

J'aime bien Adamsberg. J'aime bien Wallander. Mais les styles de vos écrits à Fred et toi sont bien différents. Son univers à elle est riche de culture, de références, tout est construit et magnifié, on se sent, on sait dans un monde parallèle. Chez toi, et ça m'a choqué, vraiment, tout est aride, sec, rude. Ton univers est parfaitement réel et triste et morne. Dans meurtriers sans visage, rien ne dépasse. Jusqu'à l'intrigue, qui est parfaitement inutile. Un couple de vieux a priori sans histoire se fait torturer et buter dans la cambrousse suédoise. Avant de rendre son dernier souffle, la vieille a le temps de répéter le mot "étranger" à un inspecteur. Et à la fin, paf, ce sont bien des étrangers, venant de nulle part, qui ont fait le coup. A la fois, c'est frustrant et jouissif. Voilà une enquête fastidieuse, longue, complexe mais dont le lecteur, pas plus que l'enquêteur, ne maîtrise le moindre début de petit fil.

On s'enlise avec Wallander parce que tout simplement il ne possède aucun indice et nous non plus. Et le récit ne se construit pas vraiment autour du mystère, mais bien autour du travail et de la vie quotidiens de ce serviteur de la loi (pas vraiment) comme les autres. Il galère, il souffre, il s'accroche, il doute, il envoie chier, et avec lui on souffre... mais on reste. Parce que ma foi, le verbe est clair, calibré, aisé à lire. Parce qu'on se reconnait dans les loupés, les doutes, les petites lâchetés du quotidien. Meurtriers sans visage est plus une chronique du quotidien qu'un vrai policier à mon sens. Et plus j'y repense et plus j'en suis content.

Je suis content aussi d'avoir commencé par le premier de la série des Wallander, puisque j'ai appris plus tard que c'est une vraie série, avec un héros qui évolue, et qui va même changer pour de bon. Du coup je vais aller chercher le 2e... Et puis, ô surprise, étonnement, et même - dirais-je paraphrasant le grand maître Maître - gaspation ! voilà-t-y pas qu'hier soir, en ouvrant mon poste pour me rendre compte que j'avais raté Jean-Claude Bourret, je tombe sur l'extraordinaire Kenneth Brannagh, que j'aime et qui m'aime et qui n'est chaque fois, ni tout à fait le même... ce bon Kenneth disais-je, dans les habits froissés et à l'hygiène douteuse de Kurt le suédois. Je savais que j'avais eu raison de te lire.
Je vais donc aussi te regarder. "Alea jacta est" dit-il, les pieds boueux de les avoir trempés dans le ru.

Merci Henning.
Amicalement, Hrundy V.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Tu peux t'étonner toi aussi :